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Quand les défilés de haute couture virent à la performance

A quoi sert encore la haute couture ? A s’amuser, expérimenter et innover, répondent certains designers, pour qui la fashion week de Paris, du 24 au 27 juin, a été l’occasion de pousser la création dans ses retranchements. Nouvelles silhouettes, nouveaux matériaux, mélanges de textiles inattendus ou défilés-spectacles : autant de manières de réinventer l’exercice.
« Parce que personne n’a besoin de haute couture aujourd’hui, il me semble juste de l’envisager comme une expérience, presque une performance », devise Demna. Le directeur artistique de Balenciaga fait partie de ces rares designers qui, au-delà de produire de jolies pièces, réfléchissent au sens de leur travail.
L’incongruité de la haute couture à une époque où tout le monde s’habille en prêt-à-porter le pousse à sortir des sentiers battus, notamment en ce qui concerne les matières : « D’autres tissus que le tulle et le satin méritent d’être utilisés en couture », affirme celui qui a développé un satin de soie et de Néoprène. Celui-ci, apposé en doublure de vêtements du quotidien tels qu’une parka, une veste en cuir, un maillot de sport, une chemise à carreaux ou un simple polo de coton, leur donne une structure et un volume étonnants, comme si de l’air passait sous le tissu.
Grâce à cette doublure, des silhouettes familières deviennent plus spectaculaires. Et sont d’autant plus intéressantes qu’elles ne sont pas déconnectées de l’histoire de la maison. « J’ai cherché à réunir mon goût personnel pour les sous-cultures et les archives de Cristobal Balenciaga. En regardant les deux dernières décennies de son travail, je me suis rendu compte qu’il y avait trois fils rouges : les chapeaux extravagants, les manches trois-quarts, le profil des silhouettes qui ressemblent souvent à des cocons », détaille Demna.
Autant d’éléments que l’on retrouve dans cette collection homogène et pleine de détails amusants : une élégante robe de soirée blanche en sacs en plastique recyclés, des tee-shirts façon groupe de metal peints à la main, ou encore cette extravagante robe-boule composée de 47 mètres de Nylon, pas cousue mais drapée sur la mannequin juste avant le défilé, et qui n’aura duré que le temps du show.
« La couture, c’est les Jeux olympiques de la mode », déclare Thom Browne, qui a choisi de montrer tous les efforts qu’exige la discipline. Il utilise la toile à patron, ce tissu beige clair qui sert à concevoir les « brouillons » des vêtements, ensuite réalisés dans une matière plus noble. Il s’amuse à montrer les vestes à l’envers, avec les coutures, les poches et les épaulettes apparentes : certaines sont à moitié finies, délestées d’une manche ; d’autres semblent avoir muté, avec un pan de tweed incrusté dans le coton. Ailleurs, ce sont des bobines de fil qui ont poussé comme des champignons sur la jupe d’une robe affûtée, ou des strates de mousseline et de crin de cheval qui forment des protubérances étonnantes sur les épaules ou les hanches.
Dans cette déconstruction habile de la silhouette, il y a des références à Martin Margiela et à Comme des garçons, avec une dose d’humour en plus : un bikini peint en rouge sur une élégante robe crème ; une jupe − portée par un homme − stricte à l’avant mais qui bâille à l’arrière, laissant voir la chute des reins et même un peu plus… « Des idées classiques, reconceptualisées », résume justement Thom Browne.
Chez Iris van Herpen, il est aussi question de performance. La créatrice néerlandaise, à qui le Musée des arts décoratifs de Paris a récemment consacré une grande exposition, a présenté cinq robes à la manière de tableaux vivants : elles sont portées par des mannequins accrochées aux murs, fixées par des sangles invisibles à l’arrière de leurs soutiens-gorge, leurs pieds placés sur une étroite plate-forme.
Les tenues sont aussi stupéfiantes que la mise en scène : des perles dessinent des arabesques sur une robe en tulle ; une autre a été sculptée à l’aide d’un pistolet thermique formant une carapace en silicone le long du corps ; ailleurs, sur une base d’organza, des impressions 3D mutent en dentelle… En écho, la créatrice, qui a été faite chevalier de l’ordre des Arts et des lettres le 25 juin, a présenté quatre sculptures à base de tulle représentant des formes abstraites. De la haute couture de haute volée, entre mode et art.
Ses compatriotes de Viktor & Rolf considèrent aussi la discipline comme un laboratoire, mais d’un genre très différent. « Il y a vingt-cinq ans, nous avons présenté une collection dont la silhouette était fondée sur l’explosion d’une bombe atomique. Une allure très extrême, un peu absurde. On avait envie de renouer avec cette extravagance. » L’idée ? Partir des jeux en bois des enfants − un rond, un triangle et un rectangle − et imaginer des vêtements articulés autour de ces formes.
Une mannequin dans une robe longue vert anis a ainsi le cou enserré dans un rectangle ; une autre voit les épaules de sa veste à carreaux former deux triangles pointus ; une troisième porte une robe en Lurex dont le haut est en forme de boule géante. Les imprimés sont mixés à l’envi, sans réelle cohérence : des pois avec du léopard ou des rayures avec des fleurs. L’ensemble est à la limite du clownesque, mais, par les temps qui courent, un peu de fantaisie ne nuit à personne.
Elvire von Bardeleben et Maud Gabrielson
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